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24 janvier 2017 2 24 /01 /janvier /2017 13:05

Fidèle à son habitude, Laurence D. Fink - vous pouvez l’appeler Larry - publie en ce mois de janvier sa lettre annuelle aux patrons des grandes entreprises. Si son nom ne vous est pas familier, sachez que sa voix a de bonnes chances d’être entendue. Car dans le monde de la finance, et plus précisément de la gestion d’actifs financiers pour compte de tiers (autrement dit, les fabricants de fonds), il est un roi. Que dis-je, un roi... un pape ! Larry Fink n’est autre, en effet, que le patron de Blackrock, qui gérait à fin décembre 2016 la somme colossale de 5.147.852.000.000 dollars (pour faire plus court, disons 5,1 trillions), ce qui en fait un indétrônable leader mondial du secteur, environ cinq fois plus gros que le leader français et européen Amundi.

 

C’est bien au nom de ses innombrables clients, particuliers et institutionnels, que Larry Fink s’adresse aux grands patrons, qui, au travers de la manière dont ils gèrent leurs entreprises, contribuent en effet aux retraites futures de millions de personnes. L’an dernier à pareille époque, le boss de Blackrock avait demandé aux entreprises de communiquer sur la manière de publier comment elles comptaient créer de la valeur à long terme pour leurs actionnaires. Il leur demande aujourd’hui de constater qu’avec le Brexit et Trump, le monde a changé. Larry Fink, s’il se dit fermement convaincu des bienfaits globaux de la mondialisation, n’ignore pas ses failles, combinées à celles du progrès technologique : les fruits de bénéfices de la mondialisation ont été inégalement partagés, notamment au profit des travailleurs les plus qualifiés alors que les emplois à plus faible qualification ont tendance à disparaître, les travailleurs les occupant se retrouvant en difficultés à l’âge de la retraite.

Nos clients sont assurément des investisseurs de long terme.

Si Larry Fink « engage » publiquement les grandes sociétés dont Blackrock est un actionnaire parfois significatif, ce n’est donc pas pour leur demander de pressurer plus leurs salariés pour donner plus de jus aux actionnaires, mais plutôt pour les appeler à la responsabilité et à une stratégie de long-terme. Et si les financiers sont souvent accusés de court-termisme, Larry Fink avance un contre-argument intéressant.  « Comme les actifs de nos clients sont souvent investis dans des produits indexés à des indices - et que nous ne pouvons pas vendre ces titres tant qu’ils demeurent dans l’indice - nos clients sont assurément des investisseurs de long terme », écrit-il. Mais il avertit aussi les chefs d’entreprise qu’il ne faut pas confondre investissement de long terme et patience infinie ! Au besoin, et faute d’un dialogue constructif, Blackrock peut ainsi voter son droit de vote pour sanctionner un management déficient ou des rémunérations managériales « non alignées » avec les intérêts des actionnaires.

Le bien-être des employés d’une entreprise est critique pour son succès à long terme.

Mais il est aussi intéressant de voir l’homme le plus puissant de la gestion d’actifs mondiale recommander aux grands patrons de s’intéresser de plus près aux facteurs ESG (environnement, social, gouvernance) dans leurs décisions, leur indiquant notamment de veiller au bien-être de leurs salariés. « Les événements de l’année passée ne font que démontrer de manière renforcée combien le bien-être des employés d’une entreprise est critique pour son succès à long terme », écrit Larry Fink. Un point de vue que ne contrediront pas les gérants de Sycomore, un acteur de la gestion d’actifs sans doute mille fois plus petit que Blackrock, mais convaincu de ce sujet au point d’avoir lancé un fonds baptisé « Happy @ Work », sélectionnant les sociétés dans lesquelles il investi sur ce critère précis.

A rebours de ce qu’on pourrait attendre de lui, Larry Fink alerte aussi sur le montant élevé des « buybacks », ces rachats de leurs propres actions par les entreprises. « Sur la période de 12 mois achevée au troisième trimestre 2016, la valeur des dividendes et des buybacks du S&P 500 a dépassé les profits opérationnels des sociétés concernées. [...] Si la réforme fiscale [aux Etats-Unis] inclut des réductions de taxes pour le rapatriement de cash jusqu’ici conservé [dans d’autres pays], Blackrock [demandera aux entreprises] comment elle entendent utiliser cet argent. L’utiliseront-elles pour racheter plus de leurs propres actions ? Ou le plan de financement prévoit-il un équilibrage approprié entre le retour de capital aux actionnaires et un investissement prudent dans la croissance future ? » interroge Larry Fink.

Il est temps de donner du pouvoir aux épargnants

Le patron de Blackrock fait aussi un appel du pied au nouveau président américain pour qu’il mette en place un régime d’imposition favorisant le long terme, ce qu’il définit par la détention de titres financiers sur une durée au moins égale à trois ans. Surtout, Larry Fink a son mot à dire sur la crise des retraites et les moyens de solutionner ce qu’il pense relever d’une responsabilité collective entre États, entreprises et gestionnaires d’actifs. « Il est temps de donner du pouvoir aux épargnants, via les nouvelles technologies et la formation dont ils ont besoin pour prendre des décisions financières intelligentes, écrit-il. Si nous voulons résoudre la crise des retraites - et aider les travailleurs à s’adapter à un monde globalisé - les entreprises doivent [...] agir avec la conviction que la sécurité des retraites est une question de sécurité économique partagée. » Messieurs les patrons, voyez plus loin que la gestion de votre base de coûts ! Message reçu ?

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