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15 octobre 2014 3 15 /10 /octobre /2014 15:19

C’est le « bad buzz » de la semaine ! Le fabricant de caméra miniaturisées adaptées à la pratique sportive GoPro a dévissé de près de 10% lundi sur le Nasdaq après sa « mise en cause » dans l’accident de ski de Michael Schumacher. Tout est parti d’une banale interview du journaliste sportif Jean-Louis Moncet sur Europe 1 vendredi matin, sur les conditions dudit accident. « C'est le pilier de la GoPro, qu'il avait sur son casque, qui a abimé son cerveau », a-t-il déclaré à l’antenne, d’un ton tout-à-fait anodin. Toujours est-il que le message sous-jacent (c’est GoPro qui a failli tuer Schumacher !) semble avoir eu un écho considérable se répercutant sur le cours de l’action.


Il n’en fallait pas plus pourdéclencher une réaction en chaîne des médias et d’une foule d’experts en communication autoproclamés, comme un certain Florian Silnicki, connu pour inonder la presse des « réactions », « coups de gueules » et autres communiqués « urgents » de ses clients, au contenu souvent plus maigre que ce que leur accroche alléchante laissait espérer. Dans ces « réflexions personnelles » (personnelles mais cosignées avec son associé) reprises par certains médias, ledit communicant fustige l’attitude de GoPro qui a ignoré la rumeur au point de la laisser devenir une information (je vous la fais courte, car le monsieur n’est pas vraiment expert en concision). Bref, selon lui, l’entreprise aurait du démentir l’information avant qu’elle n’ait de conséquences désastreuses sur le cours.


Pour ma part, je me prétends curieux de tout, mais surtout expert en rien, me souvenant toujours de la peu enviable définition du mot faite par le physicien danois Niels Bohr : « un expert est quelqu’un qui a commis toutes les erreurs possibles dans un domaine bien précis ». Mais je crois que cette attitude consistant à vouloir pousser les sociétés à surréagir au moindre stimulus provenant de la sphère médiatique, alimentant ainsi une sorte d’hystérie de l’immédiateté, est hautement contestable. Tout d’abord, il est inimaginable qu’une marque mondialement connue comme l’est GoPro réagisse par un communiqué à chaque évocation de son nom dans un contexte négatif. Précisément, faire trop de place à la moindre rumeur négative lui donne justement une consistance officielle, avant même qu’on soit certain qu’elle constitue une réelle menace pour l’avenir de l’entreprise. Bien que commercialisant des produits très mortifères, les constructeurs automobiles ne communiquent pas pour s’excuser à chaque accident de la route. Et tout cela n’empêche que leur marché ne cesse de croître. Pour durer, une entreprise ne doit pas céder à la surcommunication et l’exemple d’Apple, passé maître dans l’art d’exploiter les rumeurs (positives, celles-ci !) sur ses futurs produits, est édifiant.

 

Pour revenir au cas de GoPro, il est intéressant de noter que la rumeur en question n’est absolument pas nouvelle. Dès février, le journal allemand Die Welt avait d’ailleurs démenti le fait que la caméra soit en cause dans le traumatisme subi par l’ancien pilote de F1. Pourquoi alors le titre a-t-il trébuché en bourse ? Les journalistes recopieurs de dépêches qui veulent absolument accrocher le chaland en parlant de « chute libre » ou d’ « effondrement » du titre, alors même qu’il n’ont aucune information exclusive à leur offrir, seraient bien inspirés d’élargir un peu le spectre de leur analyse. Ils constateraient que, même après son récent décrochage qui l’a ramené mardi soir à 75 dollars,  le cours du titre a plus que triplé depuis son introduction en bourse, à 24 dollars, fin juin dernier. Une coquette plus-value pour les investisseurs de la première heure. Et la vérité, c’est que GoPro avait commencé à baisser AVANT l’intervention de Jean-Louis Moncet. Après un plus haut à 98,47 dollars le 7 octobre, les investisseurs semblent avoir été pris de vertige à l’approche du seuil symbolique des 100 dollars. D’ailleurs, ce que les commentateurs trop pressés oublient de rappeler, c’est qu’un premier coup de semonce avait retenti le 2 octobre, le titre GoPro perdant près de 14% en séance après l’annonce d’un don d’actions de la société fait par le fondateur de GoPro et sa femme à une fondation pour un montant de 500 millions de dollars : une opération perçu par certains comme suspecte car rompant la clause dite de lock-up qui interdisait a priori à Nicholas Woodman de céder des titres aussi peu de temps après l’introduction en bourse.

 

Peut-être les investisseurs ont-ils aussi été sensibles aux publications récentes de certains analystes financiers, comme ceux de Piper Jaffray, émettant désormais un avis neutre sur la valeur (au lieu d’un avis acheteur précédemment) pour la très logique raison que leur objectif de cours de 90 euros avait été touché. La valorisation de GoPro (10 fois le chiffre d’affaires 2013) est très élevée. Comme ce fut le cas pour bien d’autres sociétés bénéficiant d’un engouement médiatique quasi-hystérique (Twitter, Tesla, King Digital), cela en fait un candidat idéal pour les spécialiste du « short trading ». En vendant à découvert un titre, ceux-ci misent sur sa baisse, qui va ensuite leur permettre de l’acheter à un prix inférieur et d’honorer ainsi la vente à laquelle ils se sont engagés. Il est évidemment dans l’intérêt des « shorts » de voir baisser aussi rapidement que possible l’action qu’ils ciblent pour matérialiser leur plus-value. On peut donc compter sur eux pour propager n’importe quelle information négative sur le titre, surtout sachant que le marché est déjà fébrile. C’est peut-être cela qui explique qu’une anodine intervention d’un journaliste sportif sur Europe 1, qui n’est pas forcément le média de référence des investisseurs américains, fasse aujourd’hui le tour de la planète.

 

Finalement, quel enseignement peut-on tirer de l’ « affaire Schumacher-GoPro » ? Le premier que je vois est assez basique. Dix ans après les débuts commerciaux de la société, lorsque Jean-Louis Moncet évoque GoPro, il ne prend pas la précaution de préciser que l’entreprise fabrique... des caméras. On emploie aujourd’hui le mot comme on disait un caméscope, vocable définitivement ringardisé par cette marque aussi jeune que puissante. Est-ce la GoPro ou son mat qui a failli tuer Schumacher ? Je l’ignore. Mais je ne vois pas comment l’affaire Schumacher pourrait tuer GoPro. Une petite visite sur le forum goprofr.fr suffit d’ailleurs à vérifier que les rumeurs et news qui intéressent les aficionados de la marque sont celles concernant la puce qui équipera la future génération de caméra ou la possibilité de diffuser en direct ses images sportives.

 

Quant au chasseur de « bad buzz » Florian Silnicki, il pourrait peut-être appliquer à lui-même ce qu’il conseille aux autres et s’occuper d’une affaire qui le touche directement. Il vient en effet d’’être condamné en appel à 3.000 euros d’amende et à 6 mois de prison avec sursis pour avoir falsifié ses notes pendant trois ans, sortant ainsi vice-major de sa promotion de l’institut de droit et d’économie de Melun. Or, curieusement, sur le site internet de LaFrenchCom, dont cet individu est le cofondateur, on ne trouve aucune réponse à ce « bad buzz » pourtant bien embarrassant pour une agence de communication qui revendique la loyauté parmi ses valeurs. Une « erreur majeure » de com’ ?

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