Il se trouve encore sur les forums boursiers des audacieux pour conseiller Air France KLM à l'achat sur la foi des bougies japonaises et autres figures imparables qu'ils lisent dans leur boule de cristal.
A bien y réfléchir cependant, n'y-t-il pas des moments où la lucidité doit l'emporter sur les automatismes, ceux-là même qui fonctionnent... sauf quand ils ne fonctionnent pas ! L'analyse graphique n'est rien d'autre qu'une modélisation basée sur des comportements passés. Elle ne fait que donner une probabilité de gain et son usage peut se révéler dangereux en cas d'événement exceptionnel.
Or, si l'on fait fonctionner normalement un cerveau humain standard tant soit peu connecté au monde extérieur, quelles leçons boursières de base peut-on tirer de l'éternuement géant de ce fameux volcan dont personne n'ose prononcer le nom tant il est biscornu (si vous voulez essayer, cliquer ici pour vous exercer !) ?
Leçon numéro un : une perte sèche pour les compagnies aériennes ! Le trafic aérien européen est en grande partie paralysé depuis jeudi dernier et on nous annonce pour une compagnie comme Air France KLM une perte de 30 à 35 millions d'euros par jour ! Par comparaison, rappelons que le dernier exercice bénéficiaire de la compagnie, celui clos en mars 2008, s'était soldé par un résultat net de 748 millions d'euros. Air France KLM démarre donc un exercice (il a commencé le 1er avril) qui promet d'ores et déjà d'être une troisième année consécutive de pertes !
Leçon numéro deux : l'incertitude... ennemie jurée de la Bourse. Tous les jours, on nous annonce la reprise du trafic, tous les jours elle semble repoussée. Pour l'instant en tout cas, la reprise n'est que partielle et j'apporte au passage mon affectueux soutien à Carole, qui se réjouissait de son départ (prévu hier) au Japon. Pour elle, le départ sera au mieux lundi prochain. A condition que le nouveau nuage annoncé hier soir ne nous arrive pas sur le coin de la figure d'ici là. Une chose est au moins certaine, cette éruption ne durera pas toujours. Elle devrait se prolonger entre quelques jours et... un an ! Voilà de quoi nous rassurer.
Leçon numéro trois : des compensations hypothétiques. En bonne logique, on pourrait considérer cet événement comme une catastrophe naturelle et les Etats pourraient indemniser les compagnies. Question effet d'annonces, faisons confiance à nos politiques, toujours avides de nettoyer au Kärcher (ou plutôt en paroles!) les banlieues et toujours prêts à promettre d'éliminer tout ce qui ne va pas, avant de refiler la patate chaude et de passer au dossier suivant au gré des modes médiatiques. Voyons la réalité en face. Nous sortons d'une crise financière qui a "fragilisé le bilan" des Etats : ne nous attendons pas à les voir faire preuve de générosité.
Bref, tout cela réuni fait qu'on peut tout de même s'étonner de la résistance - relative - d'Air France KLM ces derniers jours. Je peux me tromper, mais je n'y mettrais pas un seul de mes deniers avant d'avoir une idée plus précise des conséquences exactes de l'éruption islandaise. Un premier indicateur intéressant sera la publication début mai des chiffres de trafic d'avril, avant évidemment les résultats du premier trimestre 2010/2011 qui seront publiés fin juillet et promettent d'être catastrophiques.
Si l'on vend Air France KLM , pourquoi ne pas achetez Accor ! Après tout, le groupe hôtelier doit avoir un taux de remplissage exceptionnel en ce moment, grâce à la manne imprévue de ces centaines de milliers de touristes bloqués. Oui, mais... ceux qui n'ont pas pu arriver ont peut-être annulé des nuitées. Et surtout, comment mesurer les conséquences à moyen terme de cet événement sur l'inconscient collectif. Une partie de ces gens coincés à l'autre bout du monde va revenir en se promettant de ne pas reprendre un avion de si tôt et le faire savoir à tout leur entourage. Dans ce cas, quitte à acheter une valeur du secteur, autant choisir un acteur comme Pierre & Vacances. Dans les périodes de crise, le tourisme de proximité, ça rassure !
Emmanuel Schafroth